8H30. Je prends mon service dans un établissement pour handicapés moteurs. Mais ce ne sont pas n'importe quels handicapés, il s'agit d'enfants.
Je comprends vite que la structure qui les accueille leur offre la possibilité de mener une vie
presque normale. Ils disposent d'un cinéma, d'une bibliothèque, d'une école, de salles de jeux, d'espaces verts... Le tout, accessible à n'importe quelle personne en fauteuil roulant. Le personnel est attentionné, à l'écoute, disponible. Tout le monde prend un réel plaisir à être là.
Pourtant je remarque vite un enfant. Il attire mon attention car il passe la plupart de son temps blotti dans un coin de sa chambre. Il ne parle quasiment pas. Il ne veut participer à aucune activité. Il entre juste en contact avec la psychologue. Je me penche sur son dossier et je vois qu'il s'agit d'un enfant de 7 ans, prénommé Aziz.
Quand je demande aux personnes présentes autour de moi la raison pour laquelle il s'est installé dans son mutisme, personne n'est réellement capable de me renseigner. Pourtant si on veut l'aider... il me parait important de le savoir. Je sais juste qu'une décision de justice se trouve derrière cette situation. En effet, il a été séparé de ses parents alors qu'il avait été hospitalisé pour de multiples fractures, l'handicapant à vie. Il a été, par la suite, placé chez nous.
Les visites de ses parents sont interdites. De toute façon, il semblerait que jamais personne n'ait envoyé de lettre, pris de ses nouvelles ou encore daigner téléphoner pour savoir s'il était bien chez nous.
Aziz se retrouve... seul au monde. Les infirmières et les éducatrices spécialisées sont sa seule
famille. Ses seuls repères. Il est handicapé moteur, certes, mais pas mental! Il est conscient de sa situation. Il est conscient de nos efforts mais il refuse tout ce que nous pouvons lui proposer.
Un jour, je m'assois à coté de lui alors qu'il se tenait encore dans un coin, seul. J'essaie d'engager la conversation. Pas de réponse. Alors je parle seul. Je parle de tout et de rien mais je parle...
Je me rends compte qu'il m'écoute. Il ne me parle peut-être pas mais il m'écoute. C'est déjà bien!
Alors je ne me décourage pas et je continu. J'ai fais ça pendant 4 jours sans avoir réellement de réponses significatives à mes questions.
Et puis un jour. Il s'ouvre à moi. Il m'explique que ses parents le battaient à la maison. Pour n'importe quelle raison, son père le rouait de coups. Rien d'extraordinaire, je m'en doutais un peu.
Il s'était plein à sa maîtresse d'école alors qu'un jour il était couvert de bleus. Elle avait été son seul repère au dehors du cadre familial. Elle aurait pu faire stopper tout ça selon lui. Mais elle n'a pas eu le courage de le faire, sans doute par peur de représailles. Elle a donc fermé les yeux, l'ignorant.
Il s'était alors refermé complètement sur lui-même, refusant tout contact avec un adulte qu'il assimilait à ses coups. Il refusait de revenir à l'école en affirmant que la maîtresse était la complice de ses parents.
Un jour, au petit déjeuner, une violente dispute éclata entre son père et sa mère. Aziz eut très peur et fit ce qu'il savait si bien faire: il se cacha dans un coin de la cuisine.
Sa mère entra alors dans la cuisine, en pleurs. Son père la suivait de près. Il bloqua la génitrice de Aziz contre le mur et la roua de coups, devant les yeux de l'enfant.
Aziz eut peur pour lui. Il sentait qu'après s'être défoulé sur sa mère, son père finirait par lui tomber dessus. Alors il se mit à l’abri sur le balcon. Il entendait son père taper sur sa mère. Il entendait les cris. Il entendait les pleurs. Il eut tellement peur qu'il voulu enjamber la rampe du balcon pour s'échapper de cet enfer.
C'était sans compter qu'ils vivaient au 5ème étage. La chute fut trop longue mais à la fois trop courte. Il s'écrasa dans la cour de son immeuble. Les voisins choqués appelèrent la police et les pompiers.
Le couple avait été arrêté et écroué.
Aziz était transporté à l'hôpital, souffrant de fractures multiples, entre la vie et la mort. Il s'en était sorti mais restait maintenant handicapé à vie avec des souvenirs à vous faire pâlir.
Quand notre petite conversation fut terminée, moi-même je ne savais plus quoi lui répondre. Il avait parlé d'un trait. Il s'était confié. Il s'était vidé. Il s'effondra en larmes dans mes bras.
A ce moment là, j'ai détesté beaucoup de monde.... même la terre entière.
Comment l' Homme peut-il être capable de ça?